La Beaujoire, le stade de trop ?
Frédéric Allaire
Maître de conférences, Faculté de Droit de Nantes
S’il fallait une occasion pour abandonner la règle suivant laquelle une personne morale de droit public autre que l’Etat n’aurait pas d’obligation de faire précéder la vente d’une dépendance de son domaine privé d’une mise en concurrence préalable, l’opération de cession du stade de la Beaujoire à Nantes devrait achever de convaincre les plus réticents.
Annoncé en septembre 2017, le projet de cession du stade de la Beaujoire et de 23 hectares d’emprise foncière à la société privée Yellopark portée par un promoteur immobilier et le président du Football Club de Nantes, doit lui permettre de construire un nouveau stade à cent mètres du stade actuel, de raser ce dernier et d’aménager et lotir un quartier de plus de 1500 logements, 50 000 m² de bureaux et près de 25 000 m² d’équipements divers.
Pour mener à bien cette sobre opération, l’enceinte publique, inaugurée en 1984 mais dont l’obsolescence semble avoir déjoué la programmation de ses propriétaires, devra faire l’objet d’un déclassement dont on observera avec intérêt de quelle manière la privatisation d’un tel équipement serait accueillie par le juge. Néanmoins, si le projet n’échoue pas sur l’écueil, certes de moins en moins acéré, de la protection de la domanialité publique, peut-être faut-il espérer qu’il achoppe sur la remise en cause du principe de liberté de cession sans mise en concurrence préalable.
Aussi, bien que l’opération d’aménagement se prête à une requalification du contrat de cession en contrat de commande publique en considération de l’implication de la Métropole cédante dans le projet, peut-on souhaiter, en outre, que soit frappée la balle au rebond pour étendre le champ des obligations de mise en concurrence à ces contrats qui font désormais figure d’exception.
Si l’on ne saisit pas bien pour quelles raisons avouables la cession des biens des collectivités territoriales échappe encore à l’obligation de mise en concurrence qui s’impose désormais, dans son principe au moins, à l’ensemble des opérations entre secteur public et secteur marchand, on comprend en revanche que l’existence d’une telle brèche puisse inciter les collectivités territoriales à s’y insinuer lorsqu’elles aspirent à conclure des contrats de gré à gré, quitte à orienter leurs projets par une influence informelle. Dès lors, le contexte de généralisation de l’obligation de mise en concurrence appelle ainsi un dernier effort[1] pour assurer une mise en cohérence dont le gouvernement et le législateur semblaient pourtant, après l’arrêt de la CJUE, Promoimpressa, du 14 juillet 2016, avoir compris la nécessité en adoptant l’article 34 de la loi du 9 décembre 2016 autorisant le gouvernement à étendre par ordonnance le principe d’une mise en concurrence préalable aux transferts de propriété réalisés par toute personne publique. Le gouvernement n’ayant pas adopté l’ordonnance attendue, le Conseil d’Etat serait bien inspiré de rompre le charme qu’exerce le régime des cessions alors même qu’elles emportent une perte de maitrise complète sur les opérations dont elles sont le support ainsi que des risques de favoritisme non seulement à l’égard du cessionnaire mais encore entre celui-ci et des tiers intéressés à l’opération.
En outre, ces soupçons ne manqueront pas de perdurer tant que la fixation du prix ressortira d’une évaluation in abstracto. Aussi peut-on s’inquiéter que la valorisation de la Beaujoire constitue un nouveau cas topique de sous-évaluation manifeste accréditant de nouveau le constat établi en 2011 par Jean-Marc Sauvé pour qui « à l’évidence, des erreurs parfois spectaculaires ont déjà été commises »[2]. Pour cause, ce stade homologué pour la coupe du monde de Rugby en 2023 et les Jeux Olympiques en 2024 et une emprise foncière de 23 hectares dans Nantes n’ont été valorisés qu’à 10,4 millions d’euros ! En faisant abstraction du stade lui-même dont on suppose qu’il a été exclu de l’équation, le montant de la cession équivaut à arrêter le prix du mètre carré de terrain constructible à près de 45 euros lorsque le prix médian dans ce quartier est de 490 euros[3]. Si l’on vient à opposer que cette comparaison n’est pas raison, sans doute ne verrait-on alors pas d’objections à s’en remettre au prix procédant objectivement d’une mise en concurrence qui permette d’éviter de se perdre indéfiniment en conjectures. Espérons dès lors que le juge administratif opérera à la première occurrence ce revirement de jurisprudence sans attendre que le juge de l’Union se saisisse de la question pour rappeler une nouvelle fois la portée des principes du droit de l’Union européenne ; parce qu’enfin, même avec des crampons, il est toujours possible de se faire couper l’herbe sous le pied.
[1] NOGUELLOU (R.), TERNEYRE (P.), Ordonnances domaniales : encore un effort pour les cessions !, AJDA, 2017, p. 1102.
[2] J.-M. SAUVE, Ouverture colloque, in La valorisation économique des propriétés des personnes publiques, Coll. Droits et Débats, La doc.fra, 2012, p. 15.
[3] https://www.immobilier.notaires.fr/fr/prix-immobilier?periodeReferences=1&typeLocalisation=GRAND_QUARTIER&codeInsee=4410909&typeBien=TER